La perte du paradis

Publié le par shiva

Il est trois heures du matin, je n'arrive pas à dormir. J'entends le bruit de la mer, des vagues qui s'écrasent contre la falaise en soupirant, en rongeant de leur larmes les pierres insensibles.

J'ai un an et demi. Une dent broie la chair tendre de mes gencives pour se frayer un chemin, et je gémis ... La douleur m'a réveillée, et depuis, entre cette brûlure au creux de la bouche et la tourmente dehors, je ne retrouve pas le sommeil.

La maison que mon père a commencé à bâtir de ses mains avec mon grand-père mugit sous les assauts du vent d'Ouest... Le toit de fibro ulule sous la bourrasque... Les casiers, les filets, là-bas, entre les écueils blanchis par les vagues, tournoient en folie et ne vont pas tarder à arracher leurs bouées... Tout perdre encore...

Mon père s'est relevé dans le noir et je l'entends marcher sans cesse dans la maison, s'approcher de la façade ouest pour scruter le ciel sombre à travers les fenêtres sans volets : depuis des mois, l'argent ne rentre pas, il n'y a pas de pêche, les tempêtes incessantes envoient par le fond les nouveaux matériels rachetés à crédit... Les travaux de la maison sont arrêtés...

Nous avons à peu près un toit sur la tête, et c'est tout... Pour laver le linge et faire la cuisine, ma mère tous les jours va chercher de l'eau au puits....Pour manger, il y a le crédit... encore...

Il faudrait que ça s'arrête... que le beau temps revienne et s'installe enfin... que la pêche reprenne... J'entend le bruit du vin qui coule dans la gorge de mon père et le claquement du verre sur la table... Ma mère se retourne sans cesse dans leur lit...

Cela va durer encore quelques mois... toujours de nouvelles tempêtes... de nouvelles dettes... et un jour... pour échapper de la misère qui gagne irrémédiablement... la décision... quitter l'île... après des siècles de batailles...

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Petite contribution (autobiographique et un peu mélo, sorry ;->) au nouveau Jeu du Sablier, de Koz ;-)

Un grand merci à Yam Yam qui m'a alertée (un overbooking pro m'a tenue éloignée de la blogosphère ces jours-ci et j'ai failli tout louper!!)


L'amorce …

Il est trois heures du matin, je n'arrive pas à dormir. J'entends le bruit de la mer, des vagues qui s'écrasent contre la falaise en soupirant, en rongeant de leur larmes les pierres insensibles.

… provient du billet Au bord de la mer de Zoridae.

Publié dans Jeu du Sablier

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L
Ah t'écris en plus ? J'aime...
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F
J'aime beaucoup la mélancolie qui ressort doucement, sans violence.
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Y
Super !Je ne lis pas votre billet, ni ceux des autres parce que, si je n'ai toujours pas d'inspiration, et que je suis TRES largement hors délais, je ne renonce pas à relever le défi de ce troisème sablier. Je file m'attaquer au quatrième, puis je me botterai l'arrère train pour produire le troisième et enfin, je reviendrai vous lire.Compliqué ? Voui ! Mais c'est bon aussi de différer un petit plaisir, non ?Que les mots soient avec vous.
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I
j'attendais ce sablier , je me demandais sur quelle piste nous serions embarqués....une barque de pecheurs donc....merci.
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M
Ravie de te découvrir
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